Une ode à la modernité et à la couleur
Par Marie Lagrave
Dans le Plus #158 de l’hiver 2020, nous avions consacré un article à l’ouverture d’un nouveau lieu culturel à Bordeaux : les Bassins de Lumières. Installé dans une ancienne base sous-marine, cet insolite espace d’exposition a été aménagé par Culturespaces afin d’accueillir des expositions numériques. Ici, pas de tableaux encadrés ; les œuvres sont projetées directement sur les murs, et emplissent tout l’espace. J’étais à la fois curieuse de découvrir ce lieu atypique, s’inscrivant dans le renouvellement de la ville insufflé depuis une vingtaine d’années, et enthousiasmée par le concept novateur de ces expositions immersives. J’ai ainsi profité d’un séjour à Bordeaux à l’automne pour aller visiter ces fameux Bassins de Lumières.
Le quartier de Bacalan, marqué par l’histoire
Rendez-vous donc dans le quartier Bacalan, excentré au nord de la ville. Ici, tout semble neuf, des travaux sont encore en cours ça et là. Le quartier, portuaire et industriel, existe pourtant depuis le XVIe siècle. Il connait un essor important à partir du début du XIXe siècle, lorsque la construction du pont de pierre empêche l’accès des bateaux en aval. Les bassins à flots sont creusés, industries et chantiers navals s’installent en nombre. Puis la Seconde Guerre mondiale éclate et la France est rapidement occupée par les Allemands. Le port de Bordeaux devient un lieu stratégique et une imposante base sous-marine y est construite. Cible de l’aviation alliée, la base sera bombardée à plusieurs reprises ; mais à la Libération, l’énorme bunker est à peine éraflé. Carcasse indestructible, sombre souvenir d’une période haïe, il est laissé à l’abandon. Et le quartier de Bacalan entame une inexorable récession.
Le renouveau des années 2000
Il faudra attendre les années 2000 et le réveil de la « belle endormie » pour que des travaux d’envergure soient envisagés à Bacalan. C’est d’abord avec l’arrivée du tramway en 2007 que le quartier commence à se moderniser, puis les projets immobiliers et culturels se multiplient à partir des années 2010. Le pont Chaban-Delmas est construit en 2012, les Halles de Bacalan sont inaugurées en 2017, le musée Mer Marine en 2018. La base navale, investie par Culturespaces, devient les Bassins de Lumières et ouvre ses portes en juin 2020.
« Monet, Renoir… Chagall, Voyages en Méditerranée » aux Bassins de Lumières
Gigantesque bloc de béton noirci par le temps, le bunker allemand se voit de loin. Impressionnée par l’architecture imposante de ses murs et des alvéoles ouvertes sur les quais, je pénètre à l’intérieur. Il faut quelques instants pour que mes yeux s’habituent à l’obscurité qui y règne. Mais très vite, je suis happée par l’univers sonore de l’exposition et le festival de couleurs projeté sur les murs. Les œuvres de Renoir, Monet, Pissarro, Signac, Bonnard, Dufy, Chagall et de quelques autres, s’animent sous mes yeux, se reflètent dans l’eau des bassins, se succèdent les unes aux autres. Plusieurs espaces permettent d’apprécier l’exposition : les 4 bassins, la citerne, la mezzanine et les gradins. Je déambule de l’un à l’autre, la Méditerranée sous mes pieds, avec l’impression d’avoir plongé dans un tableau, dans l’univers joyeux et coloré de ces peintres. Et je m’émerveille avec eux de la beauté de la Côte d’Azur.
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« Yves Klein, l’infini bleu » aux Bassins de Lumières
Au bout d’une quarantaine de minutes, mon voyage en Méditerranée se termine, remplacé par une autre projection mettant à l’honneur Yves Klein et son fameux bleu. La mer sous mes pieds devient pavés, puis c’est une explosion de motifs, de textures et de couleurs, dominée bien sûr par le bleu Klein. Retraçant le parcours de l’artiste, le programme dure une dizaine de minutes.
Les créations contemporaines du Cube
Je passe ensuite dans le Cube, une petite salle carré consacrée aux créations contemporaines. Deux programmes s’y succèdent : « Memories » créé par le studio Spectre Lab et « Everything » du studio Nohlab. Accompagnés d’une voix off, ils proposent un questionnement métaphysique, où sciences et philosophie se mêlent. Enfin, je termine ma visite par un passage à l’espace musée, qui présente l’histoire de la base sous-marine.
Les Bassins de Lumières proposent une expérience immersive complète et très réussie. Les différents programmes sont bien réalisés et présentent une belle diversité. C’est néanmoins peut-être un peu dense si l’on souhaite tout faire en une seule visite. J’aurai sans doute préféré une offre moins importante (il y a, en comptant la présentation de la base, 5 thématiques différentes) avec des programmes plus longs et plus détaillés. La base navale, quant à elle, avec ses volumes importants, l’eau de ses bassins, son acoustique particulière est un superbe écrin pour ce centre culturel numérique. Sans pour autant oublier l’histoire, Culturespaces a su complètement transformer cette place forte militaire, conçue pour la guerre et la destruction, pour en faire un lieu tourné vers l’art et la beauté.
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