« Le décor impressionniste. Aux sources des Nymphéas »
Article partenaire avec L’Objet d’Art
Par Jeanne Faton
Installés depuis 1927 à l’Orangerie, les Nymphéas de Monet témoignent avec force de la dimension éminemment décorative de l’art impressionniste. Le lien singulier que les pionniers de l’art moderne nouèrent avec le décor mural n’avait pourtant jamais été exploré avant l’exposition du musée de l’Orangerie. Elle invite, à plusieurs égards, à porter un regard nouveau sur l’art impressionniste. Caillebotte, Monet, Renoir, Pissarro et bien d’autres, avec des toiles rarement ou jamais présentées en France, sont au rendez-vous.
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Les commandes des premiers mécènes
Au XIXe siècle, nombreux sont les peintres à avoir commencé leur carrière par des menus travaux de décoration. Qu’ils aient peint les murs de leurs auberges par amusement de rapins, pour « payer » l’aubergiste en nature, ou qu’ils aient décoré restaurants et cafés pour gagner quelques sous, les exemples sont légion.
Tout au long des années 1870, les impressionnistes sondent notamment l’existence d’un marché pour la décoration murale : dessus de porte, panneaux en pendants, triptyque, compositions peintes à même le lambris… S’ils se sont vus confier peu de décoration publique, n’ayant pas cherché à se mettre dans les rangs de la décoration officielle, ils ont en revanche réalisé beaucoup de commandes privées pour des mécènes. Ces réalisations peintes pour des murs précis à la demande de commanditaires divers les inscrivent, l’espace d’une décennie, dans une configuration inédite, très éloignée de l’indépendance qu’ils avaient pour habitude de prôner, en peignant des tableaux de chevalet, vendus par l’intermédiaire de marchands.
Premiers commanditaires
Grâce au soutien de l’éditeur des naturalistes, Georges Charpentier, et de son épouse Marguerite, Pierre-Auguste Renoir répond efficacement à une série de commandes, à l’heure où Monet, Caillebotte et Degas manifestent leur désir d’en obtenir. Marguerite Charpentier, qui tient un salon couru, lui commande tour à tour des décorations et des menus pour son intérieur, avant de lui confier des portraits familiaux.
En 1876, Monet est quant à lui convié par le marchand de tissus Ernest Hoschedé à venir peindre au petit château de Montgeron. L’espace d’un été, il exécute pour son mécène quatre compositions de grandes dimensions destinées au décor du grand salon : Les Dindons, L’étang à Montgeron, Coin de jardin à Montgeron et La Chasse. Il décorera plus tard la salle à manger de son marchand Durand-Ruel, une manière plus efficace pour ce dernier de faire acheter l’art impressionniste par « les capitalistes » !
Caillebotte s’engage lui aussi dans la voie de l’art décoratif, en réalisant un superbe triptyque champêtre, probablement destiné à orner les murs de sa demeure d’Yerres, illustrant les plaisirs de l’eau : canotage, baignade et pêche. Jusqu’alors dispersés entre collections privées et publiques, ces panneaux sont pour la première fois reconstitués dans leur ensemble. De Caillebotte aussi, pour sa demeure du Petit-Gennevilliers, figurent les étonnants panneaux décoratifs représentant sa serre d’orchidées, une passion du peintre-jardinier.
L’aventure des arts décoratifs : la fièvre expérimentale
Dans les années 1880, les impressionnistes sont nombreux à s’aventurer dans des domaines techniques où on ne les attendait pas, en explorant d’autres supports comme la peinture sur ciment, un brevet original déposé par Renoir et ses deux associés, et sur soie, ou encore la réalisation de carreaux de céramiques. En se confrontant à d’autres techniques que celle de l’huile sur toile, ils ne craignent pas d’embrasser la voie des arts dits mineurs. Au moment où la France organise l’Exposition universelle de 1878, les impressionnistes rejoignent ainsi les préoccupations de leur temps en appliquant le beau au quotidien.
dans les champs (Soleil couchant), éventail, vers 1883.
Gouache sur soie, 14,5 x 53,5 cm. Collection particulière. Photo service de presse © Musée d’Orsay – P. Schmidt
Le format en demi-lune de l’éventail suscite notamment un grand engouement chez eux. Plus rapides à réaliser et plus faciles à vendre que des tableaux, les éventails ont été une source de stabilité économique pour certains artistes comme Pissarro, qui en exposa un grand nombre à l’exposition impressionniste de 1879, aux côtés des éventails de Degas.
Des fleurs, un peu, beaucoup, passionnément…
La nature et plus particulièrement les fleurs constituent le motif décoratif par excellence des impressionnistes. Cette passion qui lie Caillebotte et Monet se reflète dans des tableaux saisissants où n’apparaissent plus de repères spatiaux. Ni haut ni bas, ni terre ni ciel : les formes et les couleurs deviennent le principal sujet de ces œuvres très décoratives qui évoquent la répétition d’un motif sur un lé de papier peint.
Huile sur toile, 130 x 89 cm. Collection particulière © Christie’s Images / Bridgeman Images
Trouer les murs
Les réflexions impressionnistes sur la décoration n’ignorent pas une grande interrogation du XIXe siècle dans ce domaine : faut-il trouer le mur ? Autrement dit, faut-il considérer que l’œuvre décorative fera oublier la muraille et ouvrira comme une fenêtre vers d’autres réalités, ou faut-il au contraire prendre en compte la planéité du mur et en souligner l’existence ? Monet apporte une réponse magistrale à cette question, avec le cycle des Nymphéas, exposés en permanence au musée de l’Orangerie et conclusion grandiose et immersive de cette aventure du décor impressionniste.
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Pour aller plus loin
Le hors-série L’Objet d’Art sur l’exposition « Le décor impressionniste. Aux sources des Nymphéas » au musée de l’Orangerie, avec un entretien des commissaires de l’exposition. Intégralement rédigé par Marine Kisiel, docteure en histoire de l’art et spécialiste du sujet.
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