« Frida Kahlo, au-delà des apparences »
Par Marie Lagrave
Depuis le 15 septembre, une foule plus dense qu’à l’accoutumée se presse aux abords du Palais Galliera, le musée de la Mode de la ville de Paris, situé dans le XVIe arrondissement. Il faut dire que le musée présente en ce moment – et jusqu’au 5 mars – une exposition dédiée à l’immense peintre mexicaine Frida Kahlo. Musée de la mode oblige, il n’est ici pas tellement question de ses tableaux, restés pour la plupart au Mexique ou aux États-Unis, mais bien davantage de la façon dont l’artiste a, toute sa vie durant, façonné son identité et son image, notamment au travers des robes traditionnelles mexicaines qu’elle aimait porter. Une exposition très attendue et fortement plébiscitée qui permet d’approcher l’intimité de Frida Kahlo, aujourd’hui devenue une icône internationale.
Conçue en étroite collaboration avec le Museo Frida Kahlo au Mexique, l’exposition dévoile plus de 200 objets provenant de la fameuse Casa Azul qui vit naître et mourir la célèbre peintre. Au fil des salles, on découvre des photographies la représentant, sa correspondance, les ex-votos qu’elle collectionnait, et bien sûr ses vêtements, bijoux et cosmétiques, ainsi que ses corsets et prothèses médicaux, transformés en véritables supports d’expression artistique. Quelques croquis et tableaux de l’artiste ponctuent le parcours, mais ils restent rares : ce n’est pas là le sujet de l’exposition. De même, si le nom de Diego Rivera, son mari, est bien sûr évoqué, on ne s’y attarde pas, et Frida Kahlo reste la star incontestée. L’exposition débute par un parcours biographique pour nous faire ensuite découvrir comment Frida Kahlo a composé son identité au travers de son handicap, de ses tenues et de ses portraits photographiques.
Une galerie courbe pour un parcours biographique
« Je suis née ici »
Arrivée au Palais Galliera, je m’arrête un instant pour apprécier son étonnante architecture qui oscille entre une géométrie rigoureuse côté jardin et sa façade sur rue en demi-cercle. Après un peu d’attente, j’accède à l’exposition : un court film de Frida Kahlo sert d’introduction, puis le parcours débute dans une longue galerie en courbe, un long couloir arrondi.
« Je suis née ici » : c’est quasiment par ces mots que le parcours de l’exposition commence, soulignant l’attachement de Frida Kahlo à ses racines et au Mexique. Les photos de famille se succèdent, dévoilant ses origines métissées, et montrant Frida enfant, prenant déjà la pose pour son père, photographe de métier. Mais l’enfance de Frida Kahlo, c’est aussi la poliomyélite, maladie qui atrophie sa jambe droite et dont elle gardera des séquelles toute sa vie ; puis son terrible accident de bus alors qu’elle n’a que 15 ans, et qui fera basculer toute son existence. Cet accident apparait d’ailleurs dans l’exposition par un dessin saisissant de Frida Kahlo, presque un croquis, où plusieurs scènes se superposent.
« Je suis née ici » représente également la Casa Azul, où Frida Kahlo naquit et vécut toute sa vie, si l’on excepte ses voyages. Après son mariage, elle y vit avec Diego Riviera, et si la maison accueille les amours et les discordes du couple, elle n’en reste pas un moins un refuge pour Frida Kahlo qui la décore avec soin. Parmi les objets présentés, la collection d’ex-votos notamment, attire mon attention. Source d’inspiration pour l’artiste, ils témoignent de sa passion pour l’art populaire, les thèmes religieux et les traditions mexicaines.
Voyages et correspondance
Le parcours continue, toujours dans cette étonnante galerie courbe, et m’entraine dans deux des voyages de Frida Kahlo. Frida suit tout d’abord Diego aux États-Unis, où ils séjourneront 2 ans, d’abord à New York puis à Détroit. Bien que fascinée par sa modernité, Frida apprécie peu le pays qu’elle surnomme « Gringolandia ». À Détroit, en outre, elle subit une fausse couche traumatisante. Elle peint cependant lors de son séjour plusieurs de ses chefs-d’œuvre.
Quelques années plus tard, Frida Kahlo est invitée à Paris par André Breton qui prépare une exposition en son honneur. Cependant, ses tableaux ne seront finalement exposés qu’au milieu d’autres œuvres mexicaines. C’est une grande déception pour l’artiste, qui dans sa correspondance, s’en prend vivement à Breton et aux surréalistes.
Ces deux voyages permettent néanmoins à Frida Kahlo de faire de nombreuses rencontres, et de lier des amitiés qu’elle entretient par une abondante correspondance. Les lettres échangées avec ses relations viennent clore ce parcours biographique.
De grandes salles pour comprendre la construction de son image
Infirmité et créativité
Après ce long parcours dans cette étroite galerie, j’apprécie les volumes de la salle qui s’ouvre ensuite, sans doute la plus poignante de l’exposition. Ici sont exposés, en ligne, différents corsets portés par Frida Kahlo. Soutiens de son corps brisé, réceptacles de sa douleur, ils témoignent de sa santé de plus en plus fragile. Portés tout au long de sa vie, ils font partie intégrante de sa personne : loin de chercher à les dissimuler, elle les a représentés et mis en scène dans nombre de ses tableaux, comme des allégories de ses souffrances. Certains sont également devenus des supports artistiques. Elle a peint sur l’un la faucille et le marteau, symboles de son attachement au Parti Communiste ; ici, le fœtus de l’enfant qu’elle n’a jamais pu avoir ; sur un autre, une colonne brisée, reflet de sa propre colonne vertébrale…
D’autres dispositifs médicaux sont également exposés, et notamment une prothèse orthopédique, utilisée après l’amputation de sa jambe droite. Admirablement conçue, elle figure une véritable jambe, ornée d’une magnifique botte rouge sur laquelle trône un dragon asiatique. Malgré son handicap, Frida Kahlo n’a en effet jamais cessé d’apporter un soin extrême à ses tenues. Elle les portait comme un véritable étendard de sa personnalité hors du commun, de sa mexicanité et de sa féminité.
Tenues et portraits photographiques
La salle suivante, justement, permet d’admirer quelques-unes des plus belles parures de l’artiste. Bijoux et cosmétiques s’exposent de part et d’autre tandis que de superbes robes trônent au centre de la pièce. La plupart sont des jupes et tuniques traditionnelles mexicaines, brodée de couleurs vives, emblématiques de la région de Tehantepec. L’amplitude des jupes permettaient à Frida de dissimuler ses jambes, tandis que les motifs chatoyants des tuniques mettaient en valeur son buste et la faisait paraitre plus grande. Ces tenues sont devenues un marqueur essentiel de l’identité de l’artiste, qui les portait jusqu’à son chevalet, ce dont témoignent photos et taches de peinture.
Habituée à poser pour son père dès le plus jeune âge, Frida Kahlo conserve ensuite le désir de se faire prendre en photo et de composer son image. Les portraits d’elle sont nombreux et extrêmement variés, pris par différents photographes. Dans cette salle habitée par ses robes, tout un pan de mur est consacré à ces photos. On y voit Frida parée de ses plus beaux atours, dont certains sont visibles dans la pièce. Ces portraits ont fait le tour du monde, et son image si reconnaissable a contribué à faire d’elle une véritable icône, internationalement reconnue.
À l’étage : des créations de haute couture inspirées par Frida Kahlo
Jusqu’au 31 décembre 2022, une exposition-capsule située à l’étage, permet de compléter le parcours. Dans cette dernière salle, sont exposées des créations de haute couture inspirées par l’artiste mexicaine. De nombreux créateurs de mode ont en effet voulu rendre hommage à son style unique, que ce soit au travers de robes d’inspiration tehuana, de motifs mexicains chatoyants ou par l’utilisation de corsets orthopédiques. Ce dernier espace permet de mesurer l’influence de l’artiste sur la mode contemporaine et d’apprécier la variété des interprétations de son style.
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