Le Pavillon d’or, Yukio Mishima
Par Flavie Thouvenin
« Il n’existe nulle autre chose au monde qui égale en beauté le pavillon d’Or »
À Kyoto, au fond des jardins du Rokuon-ji, derrière les feuillages des niwaki et des érables rouges, au pied d’un étang aux rives recouvertes de mousse, se dresse l’un des plus beaux trésors du pays du Soleil levant : le Kinkaku-ji, dit le pavillon d’Or, temple zen à la façade recouvert d’or pur, dont l’éclat étincelant ne cesse depuis plusieurs siècles d’éblouir le visiteur, et qui inspira l’une des plus belles œuvres de la littérature japonaise…
Naissance d’une vocation
Aux côtés de Yunasari Kawabata, Junichiro Tanizaki ou Kenzaburo Oe, Yukio Mishima fait partie des plus grands auteurs modernes de la péninsule nippone. Et il est assurément l’un des plus fascinants ! Né le 14 janvier 1925 à Tokyo, de son vrai nom Kimitake Hiraoka, Mishima est un enfant fragile, discret et solitaire, élevé dans ses premières années dans le culte du Japon traditionnel par une grand-mère acariâtre et d’une extrême dureté, puis par un père tout aussi strict, bureaucrate violent, à la discipline militaire, nourrissant pour son fils des ambitions de carrière au sein d’un ministère. Très tôt, pourtant, c’est la vocation d’écrivain qui anime le jeune garçon, d’abord fasciné par le théâtre no et kabuki, par la poésie, puis les plus grands auteurs occidentaux comme nationaux…
Le temps du succès
Après des études à la prestigieuse université de Tokyo pour satisfaire les exigences du paternel, Mishima se consacre à sa passion pour l’écriture, encouragé par sa mère, et sous l’impulsion d’une rencontre avec l’immense Kawabata, qui le pousse à publier. Ainsi, en 1948 paraît son premier roman, Tozoku, bientôt suivi de Confessions d’un masque : salué dès ses débuts, Mishima est propulsé au-devant de la scène littéraire mondiale et entame une carrière prolifique. Romancier, dramaturge, poète, essayiste : son œuvre demeure l’une des plus riches de la littérature japonaise et mondiale et ne cesse de fasciner.
Génie excentrique
Auteur complexe, Mishima s’est illustré au-delà de ses lettres par son caractère quelque peu excentrique et son goût du spectacle. Tout en contradiction, Mishima est d’abord fasciné par l’Occident, sa culture, son mode de vie avant de les rejeter et ne jurer que par le nationalisme. Il dévoile son homosexualité dans ses premières œuvres, mais la combat dans sa vie. Obsédé par son corps, qu’il sculpte comme un athlète de haut niveau, il se veut l’héritier des samouraïs et le défenseur du Japon le plus traditionnel mais avait échappé à la conscription prétextant une tuberculose… On le disait énigmatique, fantasque, et peut-être un peu fou ? La folie des grandeurs de l’auteur s’illustra jusque dans sa mort. Le 25 novembre 1970, alors qu’il vient d’achever son œuvre majeure, la tétralogie La Mer de la fertilité, Yukio Mishima rend son manuscrit à son éditeur, se rend au ministère des Armées, prend en otage un commandant-général avant de tenir un discours en faveur de l’empereur puis… se donne la mort par seppuku, selon le rituel des anciens samouraïs.
La beauté mise à mort
Publié en 1956, Le Pavillon d’Or est le cinquième roman de l’auteur, et sans aucun doute l’un de ses meilleurs crus. S’emparant d’un fait divers, l’incendie du temple Kinkaku-ji en 1950 par un jeune moine, Mishima imagine la vie d’un jeune novice sous les traits de Mizoguchi, jeune homme chétif, bègue et solitaire qui, poussé par ses parents à la carrière de moine, intègre le monastère du fameux pavillon d’Or. Bientôt, pourtant, il devient bientôt obsédé par la beauté du temple à la robe dorée. Entre des amitiés ratées et un amour manqué, il l’adule, puis le déteste. Veut en devenir le maître, puis fuir les lieux. Une escalade dans la folie qui entraîne le jeune homme jusqu’à commettre l’irréparable : la mise à feu de ce temple sacré vieux de plusieurs siècles…
Un roman philosophique
Roman tout autant esthétique que violent, Le Pavillon d’Or, écrit à la première personne, rend compte des propres obsessions de l’auteur. La beauté et la pureté s’y mêle à la perversité et la destruction, dans un style d’une grande élégance. Plus que le récit d’un fait historique, il invite à la réflexion : qu’est-ce qui est beau ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? À quoi sert la beauté ? Pourquoi Mizoguchi brûle-t-il le temple ?
« Bien souvent, sur des photographies, sur des livres de classe, j’avais vu le vrai pavillon d’Or. Pourtant, c’est l’image du temple d’Or des récits de mon père qui, dans mon cœur, avait supplanté toute autre. Mon père, sans doute, ne m’avait jamais dit, du vrai pavillon d’Or, que, par exemple, il étincelât de mille dorures. Mais, à l’entendre, il n’existait nulle chose au monde qui l’égalât en beauté ; et le pavillon d’Or qui se dessinait dans ma pensée à la seule vue des lettres, à la seule résonance du mot, avait quelque chose de fabuleux. »
Pour aller plus loin :
“La Compagnie des auteurs” sur France Culture, 4 épisodes pour mieux appréhender la vie et l’œuvre de l’auteur : https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/yukio-mishima
Également, toujours sur France Culture, “Une vie, une œuvre” consacrait en 1990 un épisode à Mishima : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/une-vie-une-oeuvre-yukio-mishima-1ere-diffusion-15111990